vendredi 19 mars 2021

Atelier à Mille pastelles

Dans le cadre du soutien à la parentalité certains accueils reprennent, enfin, pour le bien-être des familles. Des espaces, des temps de rencontres, de partages, d'éveil, comme des oasis au milieu de ce temps figé qui nous contraint et restreint les lieux d'échanges et de rencontres. Pour les enfants  pouvoir aller à la (re-)découverte de ces lieux permet de nourrir un élan essentiel. Découvrir, voir, écouter, pour se construire, pour grandir. Et les parents, de la même façon, ont besoin de ces expériences d'être parents ailleurs. Pour le bien-être de tout le monde.

Le café poussette Mille pastelles est un lieu précieux pour les parents de tout jeunes enfants à Narbonne, consacré à la parentalité bienveillante. Il propose un espace boutique, un espace café (malheureusement fermé...) et des ateliers aux thématiques variées autour du bien-être et de l'éveil. Aurélie accueille, écoute, conseille, sourire perceptible derrière le masque. Comme beaucoup de démarches en direction des parents de jeunes enfants, la sienne est venue du constat de l'inaccessibilité générale de lieux de vie commune pour les parents, dans les aménagements de l'espace, dans les esprits, dans l'accueil. Et pourtant, on a autant, voire parfois encore plus, besoin de ces espaces partagés lorsque un tout petit arrive, élargir les espaces de la maison et du parc, discuter, s'installer pour boire un thé ou un café, allaiter, pendant que les enfants qui marchent peuvent se déplacer, jouer, vivre, sans craindre les regards désapprobateurs ou les remarques des autres adultes. Sans jugement. Pour le bien être des parents, et pour un accueil bienveillant dans les espaces partagés, dont les enfants ont besoin pour grandir en société.

Et c'est avec une grande joie que ce matin du 16 mars je prends mon sac rempli d'histoires, et me mets en route pour un moment de lectures partagées au café poussette !


Ma démarche de lecture se base sur un principe premier d'observation et d'écoute des dynamiques en cours. Je lis des histoires, et j'observe ce qui se passe autour de ces lectures, comment les enfants, et les adultes, se les approprient au fur et à mesure du moment partagé. Le temps nécessaire parfois pour certains enfants, à certains moments, de bouger, de jouer, tout en suivant la lecture, étant eux-mêmes dans une démarche d'observation afin de comprendre ce qui se passe. les enfants sont de formidables observateurs. Ils lisent ainsi le monde qui les entoure pour le comprendre, et pouvoir y interagir, s'y inscrire, ils ne le reçoive absolument pas de façon passive. Qui est cet adulte, que fait-il, comment réagit-il si je fais ceci ou cela, réagit-il toujours de la même façon ? Comme le disait Nadia Montessori, les enfant sont de petits scientifiques, et c'est dans l'expérience qu'ils apprennent. Les dernières découvertes de la science tendent de plus en plus à confirmer cette compréhension du développement de l'enfant. Les enfants nous posent sans arrêt des questions, auxquelles nous répondons sans nous en rendre compte. 

Avant d'entrer dans les histoires, les enfants vont interroger la situation, vont exprimer leurs interrogations par leur corps, dans leur mouvement, dans leur position, dans leur regard. Ils vont parfois avoir besoin de temps pour s'approcher de l'adulte qui lit, lorsqu'ils ne le connaissent pas encore, des livres, en lien avec leur familiarité ou non avec cet objet, et de s'approprier le lieu où l'activité se déroule. Et chaque lecture, histoire, image, peut initier une nouvelle interrogation, un choix d’intérêt pour tel ou tel élément, qui vient résonner avec leur propre histoire. Pour inviter les enfants dans les histoires, leur proposer cette richesse d'expérience que le livre leur propose, j'observe et accueille pendant et entre les lectures, ces mouvements qui donnent sens à l'ensemble de la situation. La lecture des livres aux enfants s'inscrit toujours dans une relation, à la maison et au dehors, et c'est ce qui fait sa richesse dans le développement de l'enfant. Pour reprendre la belle formule de Saint Exupéry, pour pouvoir lire et partager ce moment, nous devons nous apprivoiser mutuellement.

Nous accueillons aujourd'hui quatre enfants et leurs mamans. Nous faisons connaissance, la grande majorité connaissent le lieu, et le réinvestissent enfin, un seul petit le découvre pour la première fois. 

Cette première séance leur propose tant de choses dont il faut être conscient : réinvestir un lieu qui fut longtemps inaccessible sous cette forme, rencontrer une nouvelle personne, et un nouveau moment proposé. A part pour une petite fille, un peu malade, et installée tout le temps de la lecture sur les genoux de sa maman, les enfants ont eu besoin de bouger, se déplacer, jouer autour de la petite cuisinière. De (re)prendre leurs marques dans ce lieu et dans ses propositions, et de tourner autour de la lecture et de la lectrice pour faire connaissance.

 

 

Je lis, et tourne régulièrement mon regard vers eux, pendant les lectures, pendant les comptines, et même si d'extérieur on pourrait avoir l'impression que les enfants n'écoutent pas, n'étant pas assis, occupés à se déplacer et à jouer autour de la cuisinière, l'atmosphère est paisible, et je les vois jeter un œil vers moi de temps en temps. Un mot, une image, les attire, et ils repartent dans leur jeu.

 

A un moment un petit garçon s'approche en regardant alternativement le livre et mon visage. Je lis Arti show de Claire Dé, grand livre aux photos de légumes et fruits peints. Sur une page aux nombreux rabats que je soulève les uns après les autres, il tend le doigt, lentement, montre les rabats en me regardant, puis repart.

A la lecture de Bloub bloub bloub, de Yuichi Kasano, un autre petit garçon s'approche, à quatre pattes, regarde un petit moment, puis s'éloigne à nouveau. 

 


Le troisième petit garçon, tout en sourire et rires permanents, qui se déplace beaucoup, et passe régulièrement en faisant des allers retours devant moi pendant les lectures, m'apportera vers la fin de la séance un livre qu'il aura choisi parmi les quelques livres laissés à disposition. Je le lui lis, il reste debout en face de moi et du livre en pointant les éléments du livre et me demandant au fur et à mesure "c'est quoi ça" ? Le livre terminé, il le reprend et repart. Moment précieux où la lecture lui aura été adressée, partant de son choix et au moment où il l'aura souhaitée, tout en étant partagée par tous.

Ce petit garçon était arrivé au café très souriant, très à l'aise, et dès le début je l'ai vu fixer ma bouche visible à travers le masque transparent. Ses sourires étaient immenses, et chaque fois qu'il regardait ma bouche, il éclatait ensuite de rire. Ce que le masque nous impose à tous, cette privation de l'intégralité de notre visage et de nos expressions, a des conséquences sur nos échanges. Nous compensons comme nous pouvons du regard, des mouvements de la tête. Mais la bouche offre une lecture de l'autre dans la rencontre pleine, entière, indispensable. La joie manifestée par ce petit garçon, sous la forme d'un jeu, était comme un rappel puissant de ce besoin de voir nos visages pour nous rencontrer, et de toute la joie que nous pouvons en attendre.

Après une dernière chanson, Jean petit qui danse, que les enfants suivront de loin également sans se saisir directement de la proposition à danser, la séance se termine. Nous prenons un petit temps avec les mamans pour échanger, sur le plaisir de chacun a pouvoir reprendre certaines activités, sur le besoin des enfants et des parents de sortir, de voir d'autres personnes, de se nourrir à nouveau.

Atmosphère douce et tranquille pour cette première séance. Les enfants ont, encore une fois, montré combien ils peuvent être présent et vivre un moment, hors des codes des adultes, sans être assis, et regarder en continu et en silence ce qui leur est proposé, et être pourtant pleinement là en découverte. Écoute de loin, en faisant autre chose, et choisissant les moments où ils s'approchent et où ils participent de façon active, en liberté. Du temps dont ils ont besoin pour prendre leurs marques, vis-à-vis des situations et des personnes, et combien il est agréable de les observer évoluer ainsi. Et de saisir les moments où ils proposent eux-mêmes l'échange, dans le jeu. A leur façon et leur rythme ils se sont saisis de toutes les propositions du moment et du lieu. Nous avons fait connaissance, les prochaines séances se nourriront de cela.

C'est ainsi que les enfants grandissent et font leur "travail de bébé, à fond", comme le dit si joliment Corinne Lovera Vitali.